Entretien: Gilles Ardinat sur BV: « Jean-Michel Blanquer est en train de saboter le baccalauréat »

La rentrée 2021 marque le plein déploiement de la réforme Blanquer du baccalauréat de la seconde à la terminale. Beaucoup de parents d’élèves se plaignent d’emplois du temps très chargés : est-ce lié à cette réforme ?

En effet, la réforme Blanquer a pour conséquence un alourdissement considérable des emplois du temps en première et en terminale, puisque chaque élève choisit librement ses « enseignements de spécialité » (EDS), ce qui conduit à des dizaines de combinaisons possibles. Jusqu’à présent, les proviseurs élaboraient des emplois du temps par classe, conformément à la logique des filières (L/ES/S). Dorénavant, ils doivent tenir compte de parcours totalement personnalisés, ce qui induit d’énormes trous dans les journées des lycéens. L’amplitude horaire 8 h 00-18 h 00 se banalise.

L’objectif affiché par Jean-Michel Blanquer était de casser la logique des filières qui faisait du bac S la voie royale. Cet objectif est-il atteint ?

M. Blanquer a non seulement cassé la logique des filières mais aussi la cohésion des classes. Par pur égalitarisme, il a fusionné les bacs L/ES/S en une filière « générale » unique. Dans un premier temps, il a même été envisagé de fusionner les séries générales avec les technologiques (ST2S, STMG*…), projet fort heureusement abandonné car ces formations sont trop différentes les unes des autres. Les élèves du bac général suivent un tronc commun de 16 heures hebdomadaires (français, sport, langues…) et 12 heures d’enseignements de spécialité. Il a été expressément demandé aux proviseurs de ne pas reproduire la logique des filières. Ainsi, les profils littéraires, sciences-éco, scientifiques sont volontairement mélangés pendant les heures de tronc commun. Ce brassage aux forceps contribue à la disparition de l’esprit de groupe au sein des classes. Les conseils de classes sont devenus un casse-tête, puisque le nombre de professeurs intervenant sur un groupe peut être énorme.

Quel bilan peut-on faire du contrôle continu expérimenté l’an passé, suite au confinement ?

C’est un bilan clairement négatif et alarmant pour les années à venir. Le contrôle continu (chaque professeur note lui-même ses élèves) associé à des consignes laxistes a démontré sa nocivité : le baccalauréat 2020 a été donné à presque tous les élèves (95,7 % de taux de réussite). Si cette tendance se confirme, cet examen perdra tout crédit et les universités seront de plus en plus engorgées par des étudiants d’un niveau catastrophique. Si le choix exceptionnel du contrôle continu pouvait se comprendre en 2020 du fait des incertitudes liées au coronavirus (avec une mortalité importante en avril), il me semble impératif d’arrêter la fuite en avant en rétablissant des examens terminaux, nationaux et anonymes. Le risque est grand de voir le baccalauréat devenir un nouveau DNB (diplôme national du brevet) : un examen plombé par le contrôle continu et sans aucune valeur. En outre, le fait de multiplier les sessions d’examens avec les EC (évaluations communes) saucissonne le baccalauréat au lieu de « l’alléger », ce qui était la promesse de M. Blanquer !

Vous êtes très critique sur ce nouveau baccalauréat. N’y a-t-il pas certains points positifs ?

La reprise des cours « en présentiel » est la principale bonne nouvelle de la rentrée. Les enseignements à distance ne sont qu’une solution à court terme. Je constate que, globalement, les collègues comme les élèves (tous masqués) étaient ravis de reprendre le chemin du lycée. Tout n’est pas négatif, bien sûr, mais je considère que Jean-Michel Blanquer est en train de saboter le baccalauréat : il le transforme en un examen local à la carte de moins en moins sélectif. Il est à craindre que le fameux « grand oral » (qui aura lieu en fin d’année) soit un nouveau moyen pour donner l’examen à presque tous les candidats. Cette évolution est préjudiciable pour les professeurs (quel sens donner à leur métier si aucun effort n’est exigé des candidats lors de l’examen final ?), pour les universités (de plus en plus débordées) et pour les élèves eux-mêmes (l’État distribuant des « examens en chocolat », selon la formule d’Emmanuel Macron).

* Sciences et technologies de la santé et du social, sciences et technologie du management et de la gestion.

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