Article : Que retenir du dernier ouvrage de Jean-Michel Blanquer ?

Article du forum Ecole & Nation

Nommé Ministre de l’Education Nationale en 2017, Jean-Michel Blanquer a d’abord suscité beaucoup d’espoirs, surtout après le quinquennat piteux et dévastateur que nous venions de connaître. Le nouveau ministre de la rue de Grenelle a deux mérites certains et qui le distinguent de ses prédécesseurs : il respecte ses administrés et il connaît son ministère. Dans les deux cas, il tranche avec Mme Vallaud-Belkacem, dont les méthodes étaient aussi grossières que brutales et dont l’incompétence était notoire. Bien souvent, les constats qu’il émet sont loin d’être dépourvus d’à propos. Néanmoins, ses propos jurent cruellement avec ses actes et tout laisse penser qu’il ne mettra pas en œuvre la rupture salvatrice dont notre école a besoin. De ce point de vue, le livre qu’il vient de publier, intitulé Construisons ensemble l’école de la confiance, est significatif. Même si dans son ouvrage, le Ministre aborde de nombreux aspects de l’Éducation Nationale, le lecteur ne pourra qu’être frappé par la faiblesse des mesures qu’il propose. Mais les nombreux silences sur les menaces majeures qui planent au-dessus de l’École de la République sont bien plus inquiétants et frustrants. Ne pouvant pas aborder tous les aspects du livre sans être trop long, nous nous attarderons sur les principales absences de l’ouvrage de M. Blanquer.

L’enseignement du Français est-il au cœur de l’école ?

Le constat de M. le Ministre sur l’importance de l’enseignement du Français et la diversité des activités qu’il nécessite pour être mené à bien est juste. Savoir lire ne se limite pas à déchiffrer des signes sur une page, de même que savoir écrire ne consiste pas seulement à aligner des mots. Les compétences requises sont nombreuses : compréhension et maîtrise de la syntaxe, possession d’un lexique riche et varié, acquisition de l’orthographe, etc. Vaste programme ! Si les remarques du Ministre de l’Éducation Nationale peuvent naturellement faire l’objet d’un large consensus, on peut toutefois émettre quelques réserves quant aux solutions qu’il avance sur le sujet. En effet, si les activités nécessaires à une maîtrise complète de la langue française sont nombreuses et diverses, on peut s’étonner que M. Blanquer n’invite pas les professeurs des écoles à y consacrer davantage de temps.

Actuellement, sur 24 heures d’enseignement hebdomadaires, 10 sont consacrées à l’enseignement du Français du CP au CE2, ce qui représente 41% de l’emploi du temps de l’élève. En CM1 et CM2, seulement 8 heures de cours sont réservées au Français, ce qui représente 33% de l’emploi du temps d’un écolier. Or, le temps consacré à cet enseignement est un facteur d’autant plus important que le Ministre indique sa volonté de « remuscler » les programmes avant la prochaine rentrée scolaire. Quiconque a un jour été confronté à une classe a dans le même temps été confronté à cette difficulté quotidienne qu’est la gestion du temps. Dans ces conditions, n’est-il pas à craindre qu’à défaut de remettre l’école et l’enseignement du Français « en marche », le ministre pousse à faire avancer les élèves à marche forcée ? La question se pose d’autant plus que nous vivons une époque où les élèves ne sont plus autonomes. L’idée de « remuscler » les programmes de Français n’est pas une mauvaise idée en soi, bien au contraire. Mais elle suppose aussi de reconsidérer la répartition des heures d’enseignement à l’école primaire, pour tendre à augmenter la part du Français. Il faut donc envisager de donner les moyens nécessaires au renforcement de l’enseignement de la langue française.

L’enjeu est d’autant plus important que le nombre d’heures de Français au collège se voit divisé par deux et réduit à 4h30 en 6ème, ne représentant alors plus que 14% du temps scolaire. On peut d’ailleurs s’interroger, dans ces conditions, sur l’intérêt et la logique qui sous-tend le rattachement de la classe de 6ème au cycle 3, mise en œuvre par le gouvernement précédent.

« Respecter autrui » : un vœu pieux ?

Si à plusieurs reprises Jean-Michel Blanquer reprend cette expression, qu’il ne cesse d’ailleurs de répéter devant les micros des journalistes, accordant avec justesse le primat au respect, on s’étonnera qu’à aucun moment il n’aborde vraiment la question. Le problème de la violence dans les établissements est d’ailleurs réduit à quelques pages sur le harcèlement (4 pages sur 238 !) et à un résumé des problèmes du lycée Gallieni. Or, s’il y a bien une menace qui plane sur les écoles primaires, et encore davantage dans les établissements du secondaire, c’est bien l’explosion des violences : violences verbales quotidiennes, violences psychologiques et violences physiques. Et passer sous silence les incivilités quotidiennes et les violences dans de nombreux établissements, lorsqu’on écrit un livre qui veut embrasser l’ensemble des problématiques de l’école, relève au mieux de la gageure…

Depuis, des années, l’Éducation Nationale est essentiellement marquée par sa volonté de taire ses violences et par son incapacité à les enrayer. Les formateurs des professeurs ne cessent, de manière idéologique, de proposer des solutions d’ordre didactique ou pédagogique à un problème qui est d’ordre éducatif. Il n’y a désormais plus un enseignant qui parvient à passer une année sans être confronté aux insultes au moins une fois et d’aucuns ignorent ou sous-estiment le calvaire que peuvent vivre de nombreux professeurs dans la plupart des collèges. Les violences et parfois l’anarchie qui règnent dans un nombre très important de classes ou d’établissements interdisent toute possibilité d’accès à un enseignement clair et rigoureux. Le problème est suffisamment sérieux pour mériter d’être soulevé dans la mesure où il est une des sources principales du décrochage scolaire qui frappe les élèves et, fait nouveau et très alarmant, sur lequel nous reviendrons, les professeurs ! L’institution aura réussi en 40 ans à transformer « le plus beau métier du monde » en supplice de la goutte d’eau pour un grand nombre de professeurs !

On s’étonnera d’ailleurs de l’absence quasi-totale du mot « autorité », qui ne figure d’ailleurs qu’à la page 118 et est accolé au mot « savoir ». Restaurer la confiance dans l’école, que ce soit des parents envers les professeurs, des élèves envers les professeurs ou des professeurs en eux-mêmes, nécessite d’articuler la politique éducative autour ce beau mot qu’est l’autorité. Il est d’ailleurs intéressant de voir que le mot auctoritas, en latin, est formé sur le participe passé du verbe augere, qui signifie « augmenter » : il s’agit, dans tous les sens du terme, d’élever les élèves. Il devient urgent de restaurer cette autorité et de retourner à une conception verticale du rapport entre le professeur et ses élèves. Lui faire confiance, c’est considérer qu’il est maître de ce qui se passe dans sa salle de classe et le seul apte à juger de ce qui est utile au bon déroulement de ses leçons. Soutenir un professeur, c’est lui donner les mains libres pour assurer sa fonction première, qui est de transmettre le savoir. Cela suppose qu’il puisse sans entrave avoir la possibilité de se défaire de tous les éléments perturbateurs et autant de fois qu’il le juge nécessaire. Dans le même temps, il va falloir envisager des mesures visant à la responsabilisation des vrais éducateurs des élèves, c’est-à-dire les parents. C’est leur mission première !

Une école bientôt sans professeur ?

Étroitement liée à la dégradation considérable des conditions de travail des professeurs tout juste ébauchée ci-dessus, la question du recrutement est une véritable bombe à retardement. Les chiffres, de ce point de vue, sont alarmants. Chaque année, le nombre de postes non pourvus augmente : 8061 postes de professeurs dans l’enseignement secondaire, CAPES et agrégation compris, n’ont pas trouvé de candidats entre 2012 et 2017, faute de candidats au niveau requis, voire de candidats tout court. Les premiers résultats d’admission aux concours cette année indiquent que malgré la diminution du nombre de postes offerts, la désertion du métier de professeur se poursuit et on sait déjà que tous les postes ne seront pas pourvus. Le Ministre se réjouit de l’amélioration (factice) du taux de recrutement en 2018, quand la hausse de ce taux n’est due qu’à la diminution du nombre de postes offerts…

Voilà presque cinq ans que la filière de Lettres Classiques, par exemple, voit son vivier de professeurs s’assécher : cette année encore, alors que le ministre indique sa bienveillance à l’égard d l’enseignement des langues anciennes, 80 postes sur 183 ont été pourvus au CAPES, à défaut de candidats, et pour la seconde fois, la totalité des postes n’a pas été pourvue à l’agrégation, à défauts de candidat au niveau requis… Si toutes les filières ne sont pas frappées de la même manière par cette désertion, on peut s’inquiéter de voir que ce sont les disciplines majeures qui le sont : mathématiques, lettres, anglais, allemand, etc. A ces 8061 postes non pourvus s’ajoutent les 2800 démissions entre 2012 et 2016 d’après un rapport du Sénat. Il n’est d’ailleurs pas chose aisée de trouver les chiffres des démissions …

M. le Ministre pense que cet effondrement du nombre de candidats serait dû à la mastérisation du concours instaurée par le gouvernement Fillon en 2010. Le CAPES se passait auparavant après une licence (bac+3) et l’agrégation après une maîtrise (bac+4). L’obligation d’obtenir un Master peut certes avoir contribué à freiner la vocation de candidats issus de milieux défavorisés. Mais l’élévation du niveau requis pour présenter le concours ne saurait suffire à expliquer une telle désertion : d’ailleurs, dans le même temps, le nombre de démissions a augmenté et à ce phénomène, M. Blanquer ne peut arguer la mastérisation des concours. D’ailleurs il suffit de saisir « démission éducation nationale » sur un moteur de recherche pour accéder à un nombre considérable de témoignages aussi inquiétants qu’affligeants sur les transformations du métier de professeur et la dégradation des conditions de travail qu’il serait trop long ici de développer. Aussi, les résumerons-nous. Faiblesse du salaire, violence du métier, surcharge administrative, infantilisation, sentiment d’impuissance, etc. De ce point de vue, la solution du « pré-recrutement » envisagée par M. Blanquer ne répond que faiblement au défi qui se présente pour les années à venir. Peut-on construire « une école de la confiance » quand les professeurs eux-mêmes sont défiants à l’égard de leur institution ?

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